Intervention de Michèle PICARD, Maire de Vénissieux, Vice-présidente de la Métropole de Lyon, sur le rapport N°7 : « AFFAIRES CULTURELLES – Maison des mémoires. Dénomination. »
L’histoire a retenu la lettre de Missak Manouchian, pas celle d’Olga Bancic.
La mémoire est sélective quand il s’agit des femmes, même pour celles de la Résistance. Alors c’est par ses mots à elle que je voudrais commencer cette intervention, moins pour combler un vide que pour illustrer la dignité d’Olga Bancic.
La veille de son exécution, le 10 mai 1944 dans la prison de Stuttgart, elle jette par la fenêtre une dernière lettre adressée à sa fille. J’en cite un extrait :
« Ta mère écrit la dernière lettre, ma chère petite fille, car demain à 6 heures, je ne serai plus. Mon amour, ne pleure pas, ta mère ne pleure pas non plus. Je meurs avec la conscience tranquille et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère. Tu n’auras plus à souffrir ».
Le groupe Manouchian, les FTP-MOI, et de façon plus générale l’ensemble de la résistance, ont lutté et sont morts pour ça : une vie meilleure pour les prochaines générations, une vie où la liberté et la démocratie triomphent des totalitarismes, du nazisme et du fascisme. Mais ce qui est plus marqué encore à travers l’histoire des immigrés qui composaient le groupe de Missak et Olga, c’est leur amour inconsidéré de la France et leur volonté de voir la patrie des droits de l’homme recouvrer son honneur, sa destinée et ses principes républicains.
Notre prochaine Maison des Mémoires portera donc le nom d’Olga Bancic.
Elle en offre, je le crois, un beau visage tant elle se situe à la croisée de toutes les mémoires et incarne l’esprit de notre futur équipement culturel et éducatif : mémoire ouvrière, mémoire des migrations, mémoire de la résistance, mémoire des femmes et mémoire des politiques de progrès social.
Olga Bancic est née en Bessarabie, avant de rejoindre Bucarest avec son mari. Gréviste, adhérente aux Jeunesses communistes, elle subit très jeune la répression du régime roumain en étant condamnée à deux ans de prison après une manifestation. Après avoir vécu dans la clandestinité, elle émigre en France en 1938 où elle reprend ses études en Lettres. Sous le pseudo de Pierrette, elle rejoint le premier détachement des FTP MOI en 43 et sera la seule femme du réseau de résistance.
D’abord au service de liaisons, Olga Bancic sera en charge de la gestion du dépôt d’armement et du transport des armes et munitions destinés aux résistants. Consciente des risques encourus, elle place sa fille en sûreté dans une famille française. La 3ème filature de la police française, à la solde de l’occupant et du régime de Vichy, démantèle l’ensemble du réseau entre juillet et novembre 43.
Olga est arrêtée le 16 novembre. Incarcérée à la prison de Fresnes, seule femme parmi les 23 accusés membres des FTP MOI, elle est condamnée à mort comme l’ensemble de ses camarades par une cour martiale allemande, réunie à Paris.
Torturée à plusieurs reprises en France, Olga Bancic fera l’objet d’un traitement particulièrement indigne, réservé aux femmes : elle ne sera pas fusillée avec ses amis au Mont Valérien le 21 février 1944, mais transférée en Allemagne avant d’être guillotinée à la prison de Stuttgart, le 10 mai 1944 à l’âge trente-deux ans. Cette mort solitaire, après avoir été humiliée, torturée, après avoir eu la tête tranchée, n’est pas innocente : elle illustre le mépris et la rage du régime nazi à l’égard des femmes résistantes.
Le nom d’Olga Bancic ne doit pas faire oublier ni effacer celui d’Henri Rol-Tanguy.
Le lien avec la délibération précédente est manifeste. Le bâtiment de notre prochaine Maison des mémoires fut une mairie de 1881 à 1975, avant de devenir le musée de la Résistance qui porte le nom de Maison Henri Rol-Tanguy. Ce lieu, ce nom, cette « Maison » sont une identité de notre espace public, un repère dans notre ville, c’est la raison pour laquelle la rue située entre la rue du Château et la rue Paul Bert s’appellera désormais Rue Cécile et Henri Rol-Tanguy. Il convenait de garder ce nom à Vénissieux, et d’associer à Henri Rol-Tanguy le prénom de son épouse, qui joua un rôle important dans la lutte contre le régime de Vichy. Tous deux communistes, l’un occupa, entre autres, le rôle de chef des FFI à la libération de Paris quand son épouse Cécile fut agente de liaison et dactylographe pour la Résistance.
Pour conclure, les dernières dénominations de nos équipements et espaces publics portent le nom de femmes. C’est un choix délibéré, non pas pour répartir équitablement le nom d’hommes et de femmes, mais pour combler un tant soit peu l’immense retard des patronymes féminins par rapport aux personnalités masculines.
En moyenne en France, sur 33 % de voies, rues, places et autres espaces publics portant des noms de personnalités, seuls 6 % sont celui d’une femme. Et puisque nous parlons ce soir des femmes résistantes, sachez qu’il y a à peine quelques années dans certains manuels scolaires d’histoire, les femmes y apparaissaient dans six pages… sur 277 ! Comme si le grand récit national s’écrivait exclusivement au masculin. Il y a là aussi un énorme retard à rattraper.
Je vous remercie.