Commémoration du 8 mai

Il y a 80 ans, la Résistance s’est battue pour un idéal inaccessible, cet idéal qu’ils ont atteint et qui s’effiloche sous nos yeux.

Discours de Michèle PICARD, Maire de Vénissieux, Vice-présidente de la Métropole de Lyon, à l’occasion de la commémoration de la capitulation sans condition des armées nazies, qui marque la libération de la Seconde Guerre mondiale, du 8 mai.

Il y a 80 ans, le 8 mai, la capitulation sans condition de l’Allemagne nazie, signée la veille à Reims, entrait en vigueur à 23h01.

En Europe, c’est la libération, alors que les combats vont se poursuivre dans le Pacifique. Oui, la libération, enfin, après cinq années de chaos total. La libération, mais à quel prix !

La seconde guerre mondiale laisse un bilan sans précédent dans l’Histoire avec plus de cinquante millions de morts, majoritairement des civils : 400 000 Américains, autant de Britanniques, 600 000 Français, huit millions d’Allemands, vingt millions de Soviétiques, etc. Par jour, 25 000 disparus ! En proportion des populations de l’époque, les chiffres sont encore plus parlants : la Pologne perd 15% de sa population, l’Allemagne 12%, la Yougoslavie et l’URSS 10%.

Les pertes militaires oscillent entre 22 et 25 millions, dont 5 millions de prisonniers de guerre morts en captivité.

Tous les continents sont touchés : les victimes sont issues de plus de 60 pays différents.

Le monde a basculé dans l’horreur, il découvrira un peu plus tard qu’il a basculé dans l’abject, l’impensable, l’innommable : les camps d’extermination, les camps de la mort.

Auschwitz, Dachau, Ravensbrück, ces noms vont entrer dans notre mémoire comme une rupture de civilisation. D’autres noms deviendront le symbole de la folie destructrice dans laquelle Hitler a précipité le monde : Stalingrad, Vienne, Salo, Berlin, Izieux, Lidice, Oradour-sur-Glane…La seconde guerre mondiale n’est pas seulement une guerre de conquête, elle est une guerre de soumission totale de peuples entiers, d’élimination et d’extermination, totale là encore, de la communauté juive en Europe.

Dans le cas du nazisme, la rationalité politique et industrielle se construit à partir d’une vision réactionnaire d’un monde antimoderne et du mythe de « La grande Allemagne », tous deux opposés à l’esprit des Lumières.

C’est ce que Goebbels appellera « le romantisme d’acier ». Comme le dit un historien d’un collectif consacré à la seconde guerre mondiale, j’ouvre les guillemets :

« Soudainement, le concept de modernité n’était plus associé au progrès matériel mais identifié à une guerre industrielle menée par des armées organisées comme des usines fordistes, avec des soldats prolétarisés et affectés à des tâches standardisées, mécaniques. La guerre totale fut un massacre rationalisé et technicisé, produisant une mort sérialisée, non plus héroïque, mais sans qualité et sans gloire, une mort anonyme de masse ».

Si 14-18 a surgi brutalement à la face du monde, du moins pour certains observateurs, ce n’est pas du tout le cas de 39-45. Les périls du nazisme étaient là dès 1933, à la prise de pouvoir d’Adolf Hitler après avoir obtenu 43,9 % des voix aux élections législatives.

Le Parti national-socialiste allemand ne s’est donc pas imposé au terme d’un putsch ou un coup de force armé, mais bien par la voie démocratique, dans les urnes, après avoir convaincu une majorité de citoyens allemands que la politique nationaliste, raciste et antisémite allait sortir le pays de la crise des années 30.

Par quel subterfuge le mythe de la race aryenne supérieure a-t-il trouvé un tel écho dans la société allemande ?

« Toute ma vie se résume dans mes efforts incessants pour persuader autrui ». C’est ainsi qu’Adolf Hitler parlait de lui-même. Ses idées nauséabondes, amplifiées par ses qualités de tribun et harangueur de foule, vont se propager au sein des classes dirigeantes, bourgeoises et industrielles, mais aussi ouvrières, s’appuyant sur le ressentiment du Traité de Versailles.

L’idée du Lebensraum, qui sous-entend une surpopulation de l’Allemagne et la nécessité d’annexer de nouveaux territoires afin de garantir un espace vital, prend de l’ampleur. La dénomination d’un ennemi intérieur, la finance juive internationale, synonyme de bolchévisation du monde selon sa sémantique et rhétorique, gagne les esprits.

Tout au long des années 30, l’extrême droite allemande va souffler sur ces braises.

Alors pourquoi, malgré les avertissements et la publication de Mein Kampf, rien n’est venu enrayer la montée en puissance du nazisme ? Je me souviendrai tout le temps de la phrase de Raymond Aubrac, alors âgé de 19 ans à l’époque, j’ouvre les guillemets :

« J’ai aussi partagé une grosse erreur qui était assez répandue en France. Dans beaucoup de cas, on n’a pas pris Hitler au sérieux, on ne l’a pas cru, on a pensé que c’était quelque chose de passager, que ce n’était pas solide, un peu risible».

En 1938, quand les démocraties cèderont à la peur de l’Allemagne en lâchant les Sudètes lors des accords de Munich, il sera déjà bien trop tard.

« Vous avez choisi le déshonneur par peur de la guerre. Vous avez le déshonneur, vous aurez la guerre », avait anticipé Winston Churchill. Il ne sera pas entendu.

En France, Brest, Caen, Le Havre, Lorient, Saint-Nazaire, Saint-Lô, Évreux, Saint-Malo, Rouen, sont en ruines. 74 départements métropolitains sont très sévèrement touchés et plus d’un million de ménages, sur les 12,5 que la France comptait à l’époque, sont sans abri à la sortie de la guerre.

La France de Vichy n’est pas légitime, ni légale, elle n’est pas élue démocratiquement, mais elle est revancharde.

Elle va profiter de la collaboration pour s’en prendre aux forces progressistes : les communistes et syndicalistes dans un premier temps, puis les socialistes, les progressistes, les résistants, estimant même que le principal ennemi, c’est l’enseignant, coupable d’émanciper les enfants et la jeunesse.

Le rôle de la France, du moins d’une certaine France, comme rouage et cheville ouvrière de l’Holocauste, est indéniable.

Séquestre des biens et entreprises appartenant aux juifs absents ou arrêtés (octobre 40) ; premier convoi de déportés depuis le camp de Compiègne (27 mars 42), port obligatoire de l’étoile jaune (29 mai 42, appliqué dès le 7 juin). Le pire est là, l’abject va suivre avec la déportation des juifs à l’été 42 et la collaboration active de l’Etat français dans cette entreprise d’extermination.

La France de Pétain, de Bousquet, la France des milices de Pucheux et de l’extrême droite, va faire preuve de zèle. Tous les services de l’administration sont impliqués, la police en premier lieu bien sûr, mais aussi les services financiers, afin de trouver des solutions budgétaires pour parquer et transporter les personnes arrêtées. La politique de quotas décidée à Berlin est appliquée à Paris, avant de s’étendre à la zone libre. Il est fixé dans un premier temps à 40 000 juifs.

Presse censurée, rafles effectuées au petit matin pour limiter le nombre de témoins, tout a été prémédité. Pour la zone libre, l’idée des rafles est émise par Bousquet lui-même auprès de Heydrich, l’un des planificateurs de la Shoah ! Et c’est le même Bousquet qui rédigera les circulaires d’autorisation des arrestations dès août 42. La nature des rafles vient de changer de nature, car c’est bien l’Etat Français qui livre depuis la zone libre, et non la zone occupée, ses propres concitoyens.

Face à cette France, il y eut la Résistance. L’entrée au Panthéon en 2024 de Mélinée et Missak Manouchian a souligné la diversité de la grande famille des résistants.

C’est la réunion de toutes ces composantes qui a eu lieu, les familles gaullistes et communistes. C’est aussi la place reconnue du milieu ouvrier, des communistes, le parti des fusillés, qui ont payé un lourd tribut dans ce combat contre Vichy. Enfin, c’est la juste reconnaissance du rôle des immigrés dans la libération et l’histoire de la France. Les FTP-MOI que commandait Manouchian étaient composés de juifs de l’Europe de l’est, d’Espagnols fuyant le franquisme, de communistes italiens opposés aux ligues fascistes de Mussolini.

Dans cette résistance multiculturelle, mosaïque de classes sociales et de nationalités différentes, les allemands et autrichiens antinazis, les arméniens, les polonais, les nombreux combattants africains et maghrébins originaires des colonies, à l’image des 5 000 tirailleurs africains et malgaches, tous ont montré leur amour de la France.

Par quelle force les FTP MOI étaient-ils habités pour prendre les armes et défendre un pays qu’ils venaient à peine de découvrir ?

Ils ne voulaient pas être italiens, belges ou anglais, ils voulaient devenir français, être français, ils voulaient porter et défendre l’esprit des Lumières, la patrie des droits de l’homme. C’est la raison pour laquelle je souhaitais que cette résistance laisse une empreinte indélébile à Vénissieux, et auprès des jeunes générations. Notre prochaine Maison des Mémoires portera ainsi le nom d’Olga Bancic, seule femme des FTP MOI exécutée par décapitation en Allemagne. Son immense courage et son visage entrent dans notre espace public comme un juste retour des choses.

Toutes ces rivières, les justes, les anonymes, les maquisards, ont fait grandir le CNR et son programme les Jours heureux, ce contrat social de solidarité et d’intérêt général sous lequel nous vivons encore.

Le 8 mai 45, ces hommes et ces femmes ont remis debout la République, libéré la France du joug de l’occupation allemande, ils nous ont légué un horizon, un avenir et la démocratie.

Ce même jour, dans un tragique parallèle de l’histoire, quand la délivrance et la joie embrasaient la France, à Sétif, Guelma et Kherrata, la répression aveugle de l’armée française répandait le sang et le drame.

Ce massacre brutal, au sujet duquel la France devrait reconnaître enfin sa responsabilité, venait de semer les germes de la guerre d’Algérie.

Il y a 80 ans, la Résistance s’est battue pour un idéal inaccessible, cet idéal qu’ils ont atteint et qui s’effiloche sous nos yeux. Les principes de solidarité et de justice sociale ne sont plus aussi garantis qu’auparavant dans notre contrat social.

L’état de droit fait l’objet d’une remise en cause aussi inédite que dangereuse. S’y attaquer, c’est vouloir saper les fondations de la démocratie. Les discours de l’extrême droite, en France comme en Europe, gagnent du terrain.

La souveraineté des Etats et le droit international cèdent le pas à la loi du plus fort. Des chimères d’empire et de conquêtes territoriales renaissent, des guerres épouvantables massacrent des populations civiles.

Le tableau n’est pas reluisant, chacun en conviendra. La résistance ne s’est pas battue pour une telle décomposition du monde et de ses valeurs. Elle s’est battue pour faire renaître l’espoir, croire en l’homme et faire le pari de son intelligence. 39-45 a montré que l’histoire n’est pas une fatalité, que chacun peut inverser le cours des choses.

« Rappelons-nous que les hommes font l’histoire, mais ne savent pas l’histoire qu’ils font », prévient Régis Debray.

Aujourd’hui plus que jamais, c’est notre engagement total pour la liberté et la paix qui la fera basculer du bon côté.

Je vous remercie.

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