Commémoration de l’armistice de la guerre 1914-1918

Intervention de Michèle PICARD, Maire de Vénissieux, Vice-présidente de la Métropole de Lyon, à l’occasion de la commémoration de l’armistice de la guerre 1914-1918.

Notre prochaine Maison des Mémoires Olga-Bancic réunira toutes les histoires : la collective, celle de notre pays, et l’intime, celle que chaque Vénissian apporte à notre ville par sa culture, ses savoir-faire, par l’addition des générations d’habitants.

Toute histoire a une part d’opacité, celle que l’on veut transmettre aux jeunes générations est une histoire la plus transparente possible, la plus proche de la vérité et des faits, sans relecture partisane, sans instrumentalisation, sans page blanche ni omerta.

Dans notre Maison, toutes les dates y prendront place, celles douloureuses et celles de libération, celles de la mémoire et celles de l’avenir. 8 mai 45, 19 mars 62, 11 novembre 1918, l’été 42, 17 octobre 61, toutes ces dates doivent nous réunir, autour de drames bien souvent, autour d’une liberté recouvrée, autour d’une histoire que nous partageons ensemble.

En France, dans l’imaginaire collectif, la guerre de 14-18 occupe une place à part. Pourquoi ?

Par la brutalité d’une violence inouïe et l’irruption d’armes industrielles dans le conflit, dont beaucoup ignoraient  la capacité de destruction.

Par la bascule radicale d’un monde à un autre, de l’agricole à l’industrie.

Et puis bien sûr par les conditions de vie inhumaines de jeunes envoyés au combat, dans le bourbier des tranchées.

On peine à imaginer aujourd’hui encore l’enfer que cette génération sacrifiée a vécu, dans le froid, la boue, les maladies, la faim et la mort qui rôde partout.

C’est là que les soldats ont tenu le front, guerre statique, quasi immobile, à attendre l’attaque adverse, les obus qui tombent par centaines et l’explosion des armes chimiques.

Gagner 200 mètres un jour, en perdre 100 le lendemain, à Verdun, dans le Nord, dans la Somme et dans la Meuse, partout les hommes tombent sous les balles, sous les bombes, au coeur de paysages défigurés, creusés par la fréquence des explosions.

Il suffit de lire les lettres et témoignages des Poilus pour approcher la réalité cauchemardesque de leur quotidien. Apollinaire, mort de la grippe espagnole deux jours avant l’armistice, aura ces mots : « Si tu voyais ce pays, ces trous à hommes, partout, partout ! On en a la nausée, les boyaux, les trous d’obus, les débris de projectiles et les cimetières. »

Un rescapé de la Marne se souvient : « Le vent en soufflant en rafales arrive à chasser les tourbillons de fumée, pas à chasser l’odeur de la mort. « Champ de bataille », ai-je dit plus haut. Non, pas de champ de bataille, mais champ de carnage !… »

Ceux qui sortiront indemnes de cette boucherie immonde seront marqués à vie.

A l’exemple de Jean Giono, j’ouvre les guillemets : « Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur. Ce soir est la fin d’un beau jour de juillet. La plaine sous moi est devenue toute rousse. On va couper les blés. L’air, le ciel, la terre sont immobiles et calmes.

Vingt ans ont passé. Et depuis vingt ans, malgré la vie, les douleurs et les bonheurs, je ne me suis pas lavé de la guerre. L’horreur de ces quatre ans est toujours en moi. Je porte la marque. Tous les survivants portent la marque ».

En France, avec 1,3 million de soldats français morts au combat, c’est près de 27 % des 18-27 ans qui disparaissent en 4 ans, soit 10 % de la population active masculine !

Au cours de la seule journée du 22 août 1914, 27 000 soldats français seront tués ! 27.000 morts sur 400 km de front, de la Belgique à la Lorraine, en l’espace de 24 heures !

Jamais une journée n’a été aussi sanglante dans toute l’histoire de France.

Le déficit des naissances s’élève à plus de trois millions. La production agricole et industrielle s’effondre, 3 millions d’hectares sont ravagés et près de 50% de la population paysanne a été décimée.

Le pays est à terre.

Des régions entières, comme le Nord et l’Est de la France, sont ravagées, soit l’équivalent de 11 départements.

Pénurie de charbon, pénurie de main d’œuvre, auxquelles il faut ajouter la propagation de la grippe espagnole et le retour des Gueules Cassées, qui choquent et alimentent le traumatisme d’une société abasourdie : les lendemains sont terribles.

Plus d’un million d’enfants de 1914 ne reverront jamais leur père et parmi la population féminine on dénombrera plus de 600 000 veuves à la sortie de la guerre.

A l’échelle planétaire, il est difficile d’estimer le nombre total de victimes, les historiens s’accordent sur le chiffre de 19 millions de morts, 10 millions pour les militaires, 9 millions pour les civils.

Si 14-18 a touché des territoires situés à l’est et au nord de la France, notre ville en a absorbé elle aussi l’onde de choc.

Hormis l’explosion d’un atelier de chargement d’obus, Vénissieux n’a pas connu de destructions physiques comme en 1944, mais de nombreux Vénissians sont néanmoins morts au combat.

Dans son remarquable ouvrage « Vénissieux 1914-1918 », Serge Cavalieri estime que 216 soldats ayant un lien avec notre ville sont morts durant la grande guerre.

Les deux premières victimes furent deux frères, Pierre Marie Alexis Rolland et Pierre Victor Joseph Rolland, tués dans le Haut-Rhin.

Les premiers mois de la guerre furent particulièrement sanglants.

Pour Vénissieux, au cours de la deuxième quinzaine du mois d’août, 19 hommes trouvèrent la mort, soit plus de 8% de l’ensemble des victimes de toute la guerre.

Sur l’ensemble des quatre années de conflit, une moyenne de plus de 4 décès par mois a été enregistrée.

Ils ont perdu la vie dans la Marne, dans la Meuse au cours des batailles de Verdun et de la Somme, laquelle fera 440 000 victimes (66 700 français, 206 000 britanniques et 170 000 allemands).

A Vénissieux, une industrie de guerre se met en place.

La ville passe progressivement de l’agriculture à l’industrie.

Un atelier de chargement d’obus, la SOMUA et l’usine Berliet produisent des armes et camions qui alimentent le front, entre autres pendant la bataille de Verdun.

Eloignée des combats, la région de Lyon va jouer un rôle majeur dans le traitement des blessés et malades.

A côté de l’église du Moulin-à-Vent, la congrégation des sœurs missionnaires de Notre-Dame-des-Apôtres se transforme en hôpital complémentaire et accueille des blessés, puis des soldats atteints de la tuberculose.

Plus de 2000 soldats y auront été soignés pendant les quatre années de guerre.

L’autre transformation majeure concerne la place des femmes dans la société, et plus particulièrement dans le monde du travail.

Vénissieux en 1914 est encore un village tourné vers l’agriculture.

Avec la mobilisation des jeunes et des hommes vénissians, on manque de main d’œuvre.

Des femmes et des compagnies de travailleurs agricoles étrangers, espagnols pour Vénissieux, prennent le relais. Pendant la guerre, on va ainsi compter près de 3 millions d’ouvrières agricoles en France, qui vont travailler la terre alors que la mécanisation des tâches en est à ses balbutiements.

Avec l’éducation des enfants et la vie du foyer, ces femmes sortent épuisées du conflit en 1918.

Dans le secteur ouvrier, la demande est grande et le gouvernement, à l’aune d’un conflit qui s’inscrit dans la durée, fait appel aux femmes dans les usines métallurgiques et chimiques.

Celles qui fabriquaient les obus et les armes furent surnommées les « Munitionnettes ».

A Lyon, la Halle Tony Garnier est devenue un immense atelier de productions d’obus, de même que l’usine Berliet de Montplaisir.

Les conditions de travail y sont très dures : des journées pouvant atteindre 14 heures d’affilée sur une machine ; deux jours de repos par mois ; des lois de protections sociales inexistantes.

La plupart de ces femmes sont exploitées mais elles se taisent pour ne pas briser le moral des Poilus sur le front.

Il faudra attendre 1917 pour que des manifestations éclatent avec 10 000 cousettes parisiennes (ouvrières de la couture) en grève pendant deux mois pour protester contre leurs salaires plus bas que ceux des munitionnettes.

Après la guerre, de nombreux pays accordent progressivement le droit de vote aux femmes, notamment le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Autriche ou la Hongrie dès 1918.

Mais pas en France.

Le chemin de l’émancipation sera encore long. 14-18, c’est aussi l’apport et la contribution des travailleurs étrangers ou coloniaux sur le front comme dans la production économique.

Les tirailleurs algériens, cambodgiens, kanaks, malgaches, sénégalais, tunisiens, tahitiens, marocains, contingents issus de l’empire, sont envoyés dans l’enfer des tranchées.

D’autres sont employés dans des usines militaires et vivent dans des conditions précaires : baraquements insalubres cloisonnés les uns des autres avec des camps chinois, kabyles, indochinois, arabes, etc.

A l’heure où l’extrême droite et les populistes stigmatisent les populations immigrées, il faut avoir la mémoire courte et faire preuve d’ingratitude pour ne pas rappeler combien ces hommes et ces femmes venus d’horizons lointains ont défendu notre pays et contribué à son histoire dans les heures les plus sombres.

Aujourd’hui, il n’y a plus aucun témoin, plus aucun poilu pour nous transmettre l’horreur de cette guerre.

Comment ont-ils fait les uns les autres pour tenir au quotidien dans des tranchées boueuses parmi les blessés, les cadavres, parmi la mort qui rôde partout, dans les airs comme sur terre ?

Alors, chacun de nous doit se souvenir de cette génération sacrifiée et se rappeler les conditions dans lesquelles ils ont vécu. Toute guerre est terrible, et celles de notre monde à nous n’y échappent pas.

Malgré les leçons du passé, en 2025, des populations civiles meurent sous les bombes, meurent de famine, meurent d’épuisement, dans la peur, le drame, le sang.

Oui, c’est à nous de faire résonner la voix de ces hommes et de ces femmes sacrifiés, à nous d’en faire les fondations d’une paix à construire et à reconstruire, encore et encore.

Je vous remercie.

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