Intervention de Michèle PICARD, Maire de Vénissieux, Vice-présidente de la Métropole de Lyon, à l’occasion de la commémoration de l’appel du Général de Gaulle, le 18 juin 1940.
« Je me suis toujours posé la question sur le fait que les uns acceptaient et les autres n’acceptaient pas. J’étais jeune, en fac, je ne dis pas que mes camarades étaient tous contents de l’Occupation, mais ils en prenaient leur parti. Il y a une espèce de frontière qui passe dans le cœur des gens, qui n’est pas liée à leurs convictions politiques. Il y a quelque chose que moi j’appellerais l’intolérable, l’inacceptable, dont on ne peut pas prendre parti.»
Cette réflexion n’est pas du Général de Gaulle, mais de sa nièce, Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Elle fut résistante au sein du groupe du Musée de l’Homme. Puis déportée à Ravensbrück en 44, avant d’être utilisée comme monnaie d’échange par Himmler pour le transfert de dignitaires de l’armée allemande.
Oui, cette question de l’engagement est immense et sans réponse : pourquoi certains acceptent quand d’autres refusent toute soumission ?
Question qui doit d’ailleurs nous interroger en profondeur : qu’aurions-nous fait, nous, en 1940 ?
Aurions-nous rejoint immédiatement les rangs de la Résistance ? En faisant une croix sur notre vie quotidienne, notre identité, notre famille, nos amis, nos proches ?
Aurions-nous cédé à la peur, à la résignation ou à la soumission ?
La réponse est en chacun de nous, sans être certaine. Car nul ne peut savoir comment il aurait agi sous le régime de la peur et de la terreur.
Le Général de Gaulle s’est-il posé cette question lors de son engagement dans la Résistance dès la première heure, dès le 17 juin 40 ?
Pour refuser l’occupation, non à aucun moment il n’a douté. Pour le rapatriement de sa famille à Londres, il nourrira par contre plus d’inquiétudes.
Au soir du 16 juin 1940, Paul Reynaud, président du Conseil, démissionne et le maréchal Pétain, partisan de l’armistice avec l’Allemagne, est nommé à la tête du gouvernement. Dès le lendemain, De Gaulle s’envole pour l’Angleterre.
Ce 18 juin, lorsqu’il entre dans les studios de la BBC, il est accompagné par une jeune assistante, Elizabeth Barker, qui le décrit ainsi : « J’ai vu un homme qui marchait à grandes enjambées et parlait d’une voix grave. Il mesurait l’étendue de la catastrophe, paraissait calme, mais assez tendu.
Je suis sûr qu’il ne distinguait personne dans le studio, rien que le micro qu’il regardait fixement.»
Dans ses mémoires de guerre, De Gaulle raconte cette journée du 17 juin, la veille de l’Appel. « La première chose à faire était de hisser les couleurs, la radio s’offrait pour cela. Dans l’après-midi du 17 juin, j’exposais mes intentions à Winston Churchill. Il mit la BBC à ma disposition. Nous convînmes que je l’utiliserais lorsque Pétain aurait demandé l’armistice. Or dans la soirée même, on avait appris qu’il l’avait fait. Le lendemain à 18h00, je lus le texte que l’on connaît.
A mesure que s’envolaient les mots irrévocables, je sentais en moi-même se terminer une vie, celle que j’avais menée dans le cadre d’une France solide et d’une indivisible armée. A 49 ans, j’entrais dans l’aventure, comme un homme que le destin jetait hors de toutes séries ».
Les deux dernières phrases de sa déclaration sont importantes. Car elles éclairent en partie ce qui donnera naissance à l’esprit de la Résistance.
Le saut dans le vide, la force d’y croire et un destin commun : libérer la France pour la remettre sur de bons rails, ceux de la République.
Aussi improbable qu’inattendu, cet appel du 18 juin, sur les ondes de la BBC, est pourtant une date fondatrice de notre histoire récente.
Point de départ de la Résistance, il donne la réplique à un autre discours, celui du Maréchal Pétain.
Une France d’une poignée d’hommes à Londres répond à une France qui a capitulé.
Une figure volontariste répond à une figure fataliste. Car autour du Général, la solitude se fait sentir. Sur les 30 000 soldats français présents sur le sol britannique (les rescapés de Narvik et de Dunkerque), 58 seulement décident de rester outre-manche.
D’autres, de simples citoyens, partiront immédiatement de l’île de Sein avec l’idée de poursuivre le combat depuis la Grande-Bretagne.
Il y a ces cinq jeunes amis, réfugiés dans la Somme, qui partent vers Londres sur deux canoës. 30 heures de traversée sur des eaux déchaînées, mais la liberté et l’insoumission sont à ce prix.
Il fallait donc répondre aux mots défaitistes du Maréchal. De Gaulle le fera avec ces mots, en forme de lueur, qui sont entrés dans l’histoire de notre pays.
Je cite un extrait de cet appel : « Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !
Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. »
Comme le disait André Malraux, le 18 juin, « c’était d’abord délivrer la France de son propre abandon ». Car dans cette France de la débâcle et de l’exil sur les routes, personne ne prête attention à ce général méconnu.
Une formule résume parfaitement l’état d’esprit de l’époque, je la cite :
« Il y a ceux qui ont entendu l’appel du 18 juin et qui ne l’ont pas compris et ceux qui avaient compris déjà le sens de l’appel et qui ne l’ont pas entendu ».
Le 18 juin est donc une réponse immédiate au défaitisme de Pétain. Mais plus qu’une date, il prend date, s’inscrit dans le temps long et la fierté nationale que le pays doit retrouver.
C’est l’espoir qu’il sème, l’espoir et la renaissance de la France des Lumières par la force des convictions et la volonté d’y croire.
Car l’une des plus grandes leçons de la Résistance, c’est bien celle que ces hommes et ces femmes ont eue d’y avoir toujours cru, de retrouver de l’air, de l’optimisme, de la vie, au milieu de la désolation, du renoncement et de la trahison de nos idéaux.
Les résistances de la première heure, sans lesquelles l’appel du général de Gaulle serait resté vain, sont héroïques. Elles seront aussi celles les plus durement touchées.
Le 18 juin ne sonne pas encore l’heure de Jean Moulin, de Lucie Aubrac, c’est prématuré. Août 41 : les communistes développent rapidement un mouvement de résistance armée, les Francs-tireurs et partisans français (FTPF), dirigé par Charles Tillon.
D’obédience communiste, le plus important maquis de France, celui du Limousin, prend forme.
1941 toujours. Des représentants du Parti communiste et du Parti socialiste d’Italie, réfugiés en France, signent l’« appel de Toulouse », puis le « pacte de Lyon », le 3 mars 1943. Ils scellent l’unité d’action dans la Résistance.
Dans le Nord-Pas-de-Calais, des dirigeants de la SFIO créent un comité d’action socialiste (CAS), autant de structures qui augmenteront après le procès de Blum et Daladier, parodie du procès de Riom. Les juifs, les chrétiens, les immigrés et les FTP-MOI de Manouchian, tout le monde refuse l’impensable soumission de la France de Pétain.
L’été 42, où Vichy et l’administration française mettent en place la déportation des juifs de France et commettent l’irréparable, agira comme un électrochoc. L’été 42 est un tournant. Politiquement, ces rafles marqueront une rupture nette entre l’opinion publique et Vichy.
La population et certains hommes religieux prennent conscience que les milliers de déportés n’étaient pas transportés en Allemagne pour y travailler, mais bien pour y être exterminés.
Le second tournant aura lieu en 1943. L’instauration du Service du Travail Obligatoire fait basculer des milliers de jeunes dans la clandestinité. Et une partie d’entre eux dans la résistance.
Sans le 18 juin 40, y aurait-il eu un 27 mai 43, date officielle de la constitution du Conseil National de la Résistance ? Nul ne le sait. Et sans le CNR, y aurait-il eu notre modèle social français, qui a permis à toutes les générations de l’après-guerre de vivre dignement ?
La Résistance en France a pris la forme d’une mosaïque, tant les appartenances politiques différentes et la mixité des classes sociales engagées dans le combat ont été diverses.
Depuis quelques années, la résistance des femmes, la contribution, au prix du sang, des immigrés dans la libération et l’histoire de la France, prennent enfin la lumière. Et commencent à occuper la place qui est la leur dans notre récit national.
A l’heure où nous commémorons l’appel du 18 juin, il y avait, en 2024, 61 conflits dans le monde, répartis entre 36 pays. Le chiffre est effrayant.
Avec 28 conflits, l’Afrique est le continent le plus touché. Suivi par l’Asie (17 conflits), le Moyen-Orient (10), l’Europe (3) et les Amériques (2).
Jamais un tel chiffre n’avait été atteint depuis 1946.
On estime que le nombre de morts en 2024 est d’environ 129 000. Soit la quatrième année le plus sanglante depuis la fin de la guerre froide en 1989. Les guerres en Ukraine et dans la bande de Gaza, ainsi que la région éthiopienne du Tigré, contribuent lourdement à ce chiffre macabre.
« Le monde aujourd’hui est bien plus violent et plus fragmenté qu’il ne l’était il y a dix ans », conclut le rapport de l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo.
C’est à croire que l’homme ne retient pas les leçons de l’histoire.
Personne ne peut détourner le regard ou nier la réalité face aux populations civiles massacrées, aux territoires entiers affamés et pris en otage, aux villes rasées et rayées de la carte, aux dizaines de milliers d’hommes, femmes, enfants, jetés sur les routes de l’exil.
Combien de temps encore allons-nous tolérer l’intolérable ?
Il y a dans le monde qui nous entoure une décote humaine et une violence radicale, adossées à une perte de sens et de valeurs fondatrices comme la souveraineté des Etats, le respect du droit international.
L’appel du 18 juin était un message d’espoir d’une incroyable audace.
Son écho est là et nous rappelle que personne ne doit se résigner, que croire en l’homme est toujours possible.
Il trace à sa façon, 85 ans après, un chemin étroit vers un monde en paix.
Ce chemin qu’il nous faut aujourd’hui et à nouveau retrouver.
Je vous remercie.