Capitulation sans condition des armées nazies

En introduction à ce 8 mai, je voudrais adresser une pensée particulière à Marcel Kubik, porte-drapeau de l’Arac, qui vient de nous quitter. Il aimait l’histoire et c’est l’histoire qui nous réunit ce matin.

Une histoire terrible, tragique, celle de la seconde guerre mondiale, le pire conflit du 20ème siècle. 55 millions de morts, voire 70 millions, soit 2% de la population mondiale, voilà cette histoire, dramatique et sans précédent. Le chiffre est effrayant, effarant, intolérable. 25 000 disparus par jour. Tous les continents sont touchés, et les victimes de la seconde guerre mondiale, proviennent de 60 pays différents.

Une nouvelle fois dans l’histoire, le nationalisme a apporté la guerre, la barbarie, la rage de détruire l’autre, jusqu’au bout, de l’humilier, jusqu’à la négation de son identité, de son corps, de sa culture. Ce nationalisme porte le nom d’Hitler, et du 3ème Reich, se nourrit du fascisme de l’Italie Mussolinienne, et franchit les frontières, jusqu’en Asie et au Japon.

Si la guerre de 14-18 a surpris par son irruption brutale, et son embrasement général, la guerre 39-45 est une guerre que l’on voit arriver. Par le prisme européen, la prise de pouvoir par les urnes d’Adolf Hitler, en 1933, est une première étape décisive, qui cristallise le ressentiment du traité de Versailles, les effets de la crise de 29, et le désarroi du peuple allemand.

Je me souviens de cette phrase de Raymond Aubrac, qui résume la pensée et l’erreur de l’époque : «L’arrivée d’Hitler au pouvoir, je n’ai pas aimé, j’étais étudiant, j’avais 19 ans, j’avais une réaction de rejet, j’avais un peu peur. J’ai aussi partagé une grosse erreur qui était assez répandue en France. Dans beaucoup de cas, on ne l’a pas pris au sérieux, on ne l’a pas cru, on a pensé que c’était quelque chose de passager, que ce n’était pas solide, un peu risible. ».

Ou encore, cette réflexion de l’historien Laurence Rees, je le cite : « Je me rappelle m’être demandé, alors que je n’étais pourtant qu’un enfant, comment, si Hitler était le démon dans un corps d’homme, il avait pu obtenir de tant de personnes qu’elles obéissent à ses ordres ».

La nuit des longs couteaux en 34, et la nuit de cristal en 38, vont alors s’empresser de créer un climat de terreur, tout en désignant clairement, les cibles à venir du 3ème Reich : les communistes, les sociaux-démocrates, victimes de purges et d’exécutions sommaires, et les juifs.

Le pire est en marche, mais il l’était aussi dans les guerres d’occupation et de soumission, menées par l’Italie fasciste, en Ethiopie, dès 1935. Et les historiens ont raison de rappeler, qu’en Asie le nationalisme nippon, dès les années 30, annonçait lui aussi une radicalité de la violence, jamais connue jusqu’alors.

L’invasion de la Mandchourie en 1931, et de la Chine en 1937, porte la marque de guerres totales, à savoir d’un contrôle complet du territoire, par la liquidation systématique de toute forme d’opposition. Le massacre de Nankin en 37, où des centaines de milliers de civils, et de soldats désarmés, sont assassinés, et entre 20 000 et 80 000 femmes et enfants, violés par les soldats nippons, préfigure l’invasion de la Pologne, par l’Allemagne, et les campagnes de l’Est qui allaient suivre, d’une sauvagerie assourdissante, et de massacres ignobles.

Les Einsatzgruppen, groupes d’intervention du 3ème Reich, vont liquider et assassiner, plus d’un million et demi de personnes en 4 ans : les cadres de l’armée polonaise, handicapés, juifs, tsiganes, d’abord par fusillades, appelés « Shoah par balles », puis au moyen de camions à gaz itinérants, annonciateurs, là encore, des camps d’extermination.

Après la rupture du pacte germano-soviétique, la guerre entre l’Union Soviétique et l’Allemagne nazie, va provoquer la mort de 30 millions de personnes, oui vous avez bien entendu ce chiffre, 30 millions de personnes, militaires et civils, victimes de combats inimaginables (la bataille de Stalingrad fait, à elle seule, un million de morts en 7 mois), victimes de famine, de maladie, de froid.

Au-delà de la commémoration de la capitulation sans condition des armées nazies, ce que nous marquons aujourd’hui, c’est la mémoire de tous ces hommes, femmes et enfants, morts parce qu’ils ont eu le malheur de croiser les pages les plus noires de l’histoire des hommes.

Morts pour avoir résisté au régime le plus abject du 20ème siècle, le 3ème Reich, morts parce qu’ils sont nés juifs ou handicapés, tsiganes ou déficients mentaux.

La page qui s’est ouverte en 39, ne peut pas se refermer, même aujourd’hui. Car nous ne parlons pas d’une guerre au sens propre, avec son lot d’horreurs, mais d’une planification et d’une industrialisation d’un génocide. C’est moins l’adversaire que la figure de l’autre, sa différence, son appartenance, son identité, que le nazisme tue. Non seulement il tue l’autre, mais il le tue en l’humiliant, en le niant, en réduisant sa mort prochaine à un chiffre, à une statistique, à une viabilité économique.

Voilà la matière abrasive, que les camps de concentration et d’extermination, laissent en nous, 72 ans après. L’industrie de la mort a été réfléchie, mesurée, soupesée, étudiée, comparée, et mise à l’épreuve des réalités sociales, économiques, démographiques de l’impérialisme allemand.

L’aliénation de la tâche au service d’un génocide, c’est là que réside la folie du nazisme. Hitler, Heydrich, Himmler, Goebbels, Goering, Eichmann, aucun des dirigeants du 3ème Reich n’était fou, bien au contraire, certains faisant preuve d’une énorme culture, mais c’est dans le terreau du nationalisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie, que s’est nourrie la mécanique de la terreur et de l’horreur.

Je rappelle souvent ce mot de Primo Levi, dont on vient de marquer le 30ème anniversaire de sa disparition, car sa justesse est intemporelle, j’ouvre les guillemets : « On a inventé au cours des siècles, des morts plus cruelles, mais aucune n’a jamais été aussi lourde de mépris et de haine ».

Des historiens estiment ainsi que 5,7 des 7,3 millions de juifs, vivant dans les territoires occupés par l’Allemagne, ont été victimes de la Shoah, dont environ 3 millions dans les camps. Déportés, réduits à la condition d’esclaves, opprimés, puis gazés et brûlés. Hommes comme enfants, femmes comme personnes âgées. Par centaines, par milliers, par millions. Personne ne peut oublier, car personne ne pourra jamais plus, réparer ce crime contre l’humanité, ce crime abject, jeté à la face de notre civilisation.

« Toute ma vie se résume dans mes efforts incessants pour persuader autrui ». C’est ainsi qu’Adolf Hitler parlait de lui-même, en 1942. Incapable d’entretenir une relation amicale normale, dépourvu de toute empathie, hermétique à toute contradiction, dans un débat intellectuel, rempli de haine et de préjugés, cet homme va pourtant agréger une partie du peuple allemand, à ses thèses racistes et négationnistes.

Konrad Heiden, journaliste germano-américain et historien, spécialisé dans les années de la République de Weimar, et la période nazie, traduit les contradictions d’Hitler de la façon suivante, j’ouvre les guillemets : « En tant qu’être humain, lamentable ; comme esprit politique, l’un des plus prodigieux phénomènes dans toute l’histoire du monde ». Cette phrase choque, car elle nous rappelle qu’une cause abjecte ne peut prendre forme, que si elle est accompagnée par une forme d’intelligence, machiavélique ou pas, au service d’un nationalisme exacerbé.

Qualifié de jeune homme quelconque, errant entre Vienne et Berlin, cet homme va pourtant être l’auteur, des trois décisions politiques les plus tragiques du 20ème siècle : l’invasion de la Pologne, la campagne de l’Est, et l’extermination des juifs du Vieux Continent.

Pour convaincre les Allemands de sa vision du monde, Hitler instrumentalisera trois mythes et obsessions, du pangermanisme : le mythe de la grande Allemagne trahie, dupée et humiliée, à la sortie de 14-18 et du traité de Versailles.

Le Lebensraum, qui sous-entend une surpopulation de l’Allemagne, et la nécessité d’annexer de nouveaux territoires, afin de garantir un espace vital ; la dénomination d’un ennemi intérieur, la finance juive internationale, synonyme de bolchévisation du monde, selon sa sémantique et rhétorique.

Et la greffe va prendre, sous l’effet de la crise économique, sociale, qui frappe l’Allemagne des années 30, et sous l’effet également, de la décomposition de la République de Weimar.

Je n’ai pas l’intention de me lancer dans une biographie d’Adolf Hitler, mais d’attirer l’attention, notamment celle des jeunes générations, sur la fragilité de la démocratie, et sur le danger du repli nationaliste, dont l’Histoire a montré, qu’il menait systématiquement à la guerre. Ce rappel n’est pas innocent.

Il illustre aussi le courage héroïque, la force de conviction, et la détermination sans faille, de tous ceux qui ont résisté, souvent au prix de leur vie, à la haine du nazisme. On a retenu des noms, ici en France, De Gaulle, Jean Moulin, Raymond et Lucie Aubrac, Germaine Tillion, Missak Manouchian, les fusillés du Mont Valérien, Pierre Brossolette, les maquis, les tirailleurs africains et maghrébins, le CNR, c’est grâce à eux, aux femmes, aux anonymes, aux justes, que notre pays a retrouvé le chemin de la République et de la liberté. Nous n’avons pas le droit de l’oublier, pas le droit de galvauder cette mémoire-là.

Aujourd’hui en 2017, le populisme gagne du terrain dans les urnes, les propos xénophobes, antisémites, islamophobes, se libèrent, se banalisent, la montée des intolérances est manifeste. Comparaison n’est pas raison, surtout en histoire, mais le péril de la tentation nationaliste existe, bel et bien, en France, comme dans le monde occidental.

Cette commémoration du 8 mai 45, doit interroger notre présent, à la lumière des épreuves terribles, que les générations précédentes ont vécues. L’histoire est là pour nous éclairer, nous questionner. Elle est là pour nous dire que rien n’est acquis, que la démocratie et la République peuvent être balayées, en moins de temps que l’on n’imagine.

Comme Raymond et Lucie Aubrac, comme Primo Levi ou Imre Kertesz, comme Germaine Tillion ou Hannah Arendt nous l’ont appris, il nous faut transmettre aux plus jeunes, cette mémoire que les témoins de cette tragédie humaine sans précédent, nous ont léguée. Pour défendre collectivement ce qui nous est le plus cher : vivre libre, vivre ensemble, vivre nos différences.

Goethe, Kant, Nietzsche, le nazisme n’a pas hésité à falsifier, s’approprier et détourner sans vergogne, des classiques de la culture allemande. Toute honte bue, mais sans comprendre la portée d’une pensée libre, à des années lumières de l’Hitlérisme. « L’homme de l’avenir est celui qui aura la mémoire la plus longue. », affirmait le philosophe allemand. La démocratie d’aujourd’hui et de demain, est celle qui saura s’en souvenir.

Je vous remercie.

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