Appel du Général De Gaulle

La Résistance de la première heure sera celle qui paiera le plus lourd tribut.

Vénissieux se souvient… 18 juin Appel du Général de Gaulle. . Ce 18 juin 2022, nous avons
déposé en cette fin de matinée une gerbe au pied du monument de la Libération, parc Louis-
Dupic. J’ai l’habitude de dire que l’appel du 18 juin est bien plus qu’une date, il fait date et prend
date. Il crée une brèche et un espoir, comme les petites rivières font les grands fleuves.

Il y a dans l’appel du 18 juin une part d’irrationnel et de rationnel, comme si la raison disait non mais le cœur oui. Qu’est-ce qui a poussé le Général de Gaulle à quitter la France pour rejoindre Londres, sans sa famille, dès la prise de pouvoir du Maréchal Pétain ?

La ligne d’une résistance, incarnée par Paul Reynaud, qui aurait pu s’organiser à partir du territoire national et des colonies de l’Afrique du Nord, cède sous le poids des défaitistes.

Dès le 17 juin, De Gaulle comprend qu’il faut sauter dans le vide, quitter le pays, son pays et son armée. A 11h30, depuis Bordeaux, Pétain prononce ces mots douloureux, prélude d’une France qui trahit ses valeurs universalistes et républicaines, j’ouvre les guillemets : « C’est le cœur serré que je vous dis qu’il faut cesser le combat ». De Gaulle, lui, est déjà dans l’avion en compagnie de son aide de camp, le Lieutenant Geoffroy de Courcel et du Général Spears. Pour seul viatique, 100 000 francs que Paul Reynaud lui avait fait remettre et une grande inconnue, l’accueil réservé par l’Angleterre de Churchill.

Oui, c’est irrationnel de croire ce 18 juin que la Résistance peut s’organiser avec une poignée d’hommes réfugiés à Londres. Car le chaos règne en France. Son armée, considérée comme la plus puissante du Vieux Continent à la veille de l’invasion, s’écroule en quelques semaines. Hitler avait fait le pari, raillé par la presse française de l’époque, que Paris tomberait le 15 juin et que l’armistice serait signé le 1er juillet.

Paris tombe dès le 14 juin et la prise de pouvoir de Pétain annonce une rapide capitulation. Hitler avait vu juste, malheureusement. Les troupes allemandes font un million de prisonniers, les dernières divisions reculent dans le sud, 7 millions de réfugiés civils et de soldats fuient sur les routes, l’Italie s’apprête à ouvrir le front des Alpes.

Oui, c’est le chaos, mais dans les studios de la BBC, un homme y croit, ou plutôt continue d’y croire mais il serait faux de s’imaginer que cette foi en une France retrouvée confinerait à la naïveté. L’appel du 18 juin est au contraire un concentré d’intuition et de réflexions pertinentes.

Bien qu’il ait combattu en 14-18, De Gaulle n’est pas un militaire célèbre en 39, mais un penseur militaire, théoricien de l’arme blindée appelant à une réforme de la tactique et de la stratégie de l’armée française. Attaché à une guerre de position, le Maréchal Pétain se trompe sur la nature du conflit à venir. De Gaulle ne lui pardonnera pas ce choix. Peu sensible au culte de l’homme providentiel de 14-18, le Général aura ces mots tranchants : « Pétain fut un très grand homme mort vers… 1925 ! ». Il sent très vite que Pétain, à la vision étroite et sclérosée, porte en lui l’esprit de la capitulation.

Pour De Gaulle, comme pour d’autres, le naufrage militaire de la France vient moins du matériel et des hommes que des stratégies adoptées dans les années 20 et 30, que le Front Populaire tentera de corriger mais trop tardivement. Léon Blum le reconnaîtra, je le cite : « La conception de l’unité mécanique propre à De Gaulle pose les éléments théoriques et techniques d’une formule de guerre nouvelle ». La guerre de mouvement de l’Allemagne opposée à l’option statique de la France, un officier la traduira dans une formule imagée : « C’était trois paquets de 1000 chars contre 1000 paquets de trois chars ».

Mais au-delà des options militaires, De Gaulle a une intuition forte, celle que la France a perdu une bataille mais pas la guerre, que la mondialisation du conflit n’est qu’une question de temps. La guerre éclair menée par Hitler ne résistera pas à l’ouverture de plusieurs fronts ni à la durée d’un conflit appelé à s’éterniser.

L’appel du 18 juin, de portée nationale, s’adresse en premier lieu aux officiers, soldats, ouvriers et ingénieurs des industries d’armement qui se trouvent en Angleterre. Écoutons un extrait de cet appel :

« Cette guerre n’est pas limitée au territoire de notre malheureux pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd’hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là. »

Un peu plus haut dans le texte, le général entendait susciter un espoir, fragile certes, mais réel : « Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non ! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire. »

Le 27 juin au soir, Churchill s’adressera en ces termes au Général De Gaulle, malgré les réticences des militaires britanniques et la défiance des diplomates : « Vous êtes tout seul ! Eh bien, je vous reconnais tout seul ! ».

J’ai l’habitude de dire que l’appel du 18 juin est bien plus qu’une date, il fait date et prend date. Il crée une brèche et un espoir, comme les petites rivières font les grands fleuves.

Très peu de Français entendent De Gaulle à l’époque et seuls quelques journaux français relaient l’information. Pourtant, un front du refus se dessine. Outre-Manche, ils sont quelques centaines, puis milliers à rejoindre les rangs de la France libre. Venant de Dunkerque, de Bretagne, traversant l’Espagne pour rallier les territoires de l’Afrique du Nord, ces hommes et ces femmes forment la résistance de la première heure.

Comment oublier par exemple les marins de l’île de Sein, 133 pêcheurs âgés de 54 à 14 ans, qui quittent à bord de leurs bateaux leur famille dès le 22 juin, quelques heures à peine avant l’arrivée des troupes allemandes, pour rejoindre spontanément l’Angleterre.

Après l’appel du 18 juin, la résistance est embryonnaire, dispersée, on est loin encore de Jean Moulin, du Conseil National de la Résistance du 27 mai 43. Les mouvements et maquis ne communiquent pas entre eux, ne coordonnent pas leurs actions, à l’exception des Francs-Tireurs et Partisans et des résistants communistes, plus structurés.

Les femmes se mobilisent également. Elles sont très nombreuses, dès 1940 et dans la France entière, à manifester dans la rue à cause de la pénurie alimentaire. Derrière ce que l’on a appelé les « manifestations ménagères », devant les mairies et les préfectures, les femmes expriment à visage découvert, au risque de sérieuses représailles, leur mécontentement et demandent le déblocage des stocks de denrées.

Dès l’hiver 1941-1942, Vichy multiplie les arrestations et les internements, devenus monnaie courante. En ciblant les femmes, le régime de Pétain tente d’atteindre l’un de ses plus grands ennemis de la collaboration, le Parti Communiste, qui soutenait ces « manifestations ménagères ». A travers une résistance du quotidien, les femmes remettaient fortement en cause la collaboration avec l’Allemagne nazie. Elles rejoindront les maquis, la lutte armée, elles seront partie prenante de l’histoire, occupant une place et un rôle qui ne sont toujours pas assez mis en lumière aujourd’hui.

Entre la résistance armée, la résistance du mécontentement social, la résistance des justes, la résistance des sabotages et des maquis, des passerelles vont se former, des hommes et des femmes passer d’une forme de combat à une autre. Dans le Nord, premier territoire touché par l’invasion allemande, les femmes sont, au départ, majoritaires(en 1940, 23% des femmes du Nord-Pas-de-Calais sont résistantes, contre 13% des hommes).

Faut-il interpréter l’appel du 18 juin comme l’acte de naissance d’une grande famille, composée de jeunes et moins jeunes, d’hommes et de femmes issus de toutes les catégories sociales, d’immigrés, tous attachés à une idée fédératrice : la France est le pays de la liberté, pas de la soumission.

Il y a eu un 18 juin, mais il y a eu toutes les résistances : refus de l’Occupation ; refus de l’armistice et de l’idée de défaite ; refus des mesures antisémites, restrictives, régressives et répressives : tous les résistants de l’année 40, hommes et femmes confondus, ont partagé ces convictions communes et c’est cet instinct vital qui les a poussés à se battre contre des forces plus nombreuses et plus armées.

La Résistance de la première heure sera celle qui paiera le plus lourd tribut. Moins organisée, plus isolée, elle va faire l’objet de terribles représailles, tortures et déportations de la part du régime de Vichy et des milices de Pucheu, ministre de l’intérieur à partir de 1941.

On doit à ces hommes et ces femmes de la Résistance la libération de la France, dont beaucoup ne connaîtront pas l’heureuse issue. On leur doit également le modèle social français sous lequel nous vivons toujours, malgré les assauts du libéralisme, un modèle où priment toujours la solidarité et la protection pour tous les citoyens.

Voilà le double sens du 18 juin, et nous en sommes tous ici les garants : l’audace du refus de la soumission et le pari d’une société meilleure. De quoi en effet faire date.

Je vous remercie.

X