Appel du 18 juin

… ». Les juifs, les chrétiens, les immigrés et les FTP-MOI d’Epstein et Manouchian, tout le monde refuse l’impensable soumission de la France de Pétain, tout le monde refuse l’inéluctable et le défaitisme. « …

Vendredi 18 juin 2021

Vénissieux se souvient… Ce 18 juin 2021, de nouveau les contraintes sanitaires nous empêchent de nous rassembler. Cependant, avec  Jacques JULLIEN, président de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie (FNACA), Michèle PICARD, maire de Vénissieux et vice-présidente de la Métropole de Lyon, a déposé en cette fin d’après-midi une gerbe au pied du monument de la Libération, parc Louis-Dupic, en présence de Joseph FARRUGIA, porte-drapeau.

La crise sanitaire nous contraint une nouvelle fois à restreindre nos commémorations nationales. Mais nul ne doit oublier « Ces hommes partis de rien », titre d’un ouvrage de René Cassin, juriste, diplomate, membre du gouvernement de la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale et Compagnon de la Libération. C’est un peu cela l’histoire du 18 juin, une poignée d’hommes d’un côté et rien de l’autre, hormis une France en pleine débâcle militaire, une France du chaos politique et de l’exode de 7 millions de Français qui fuient sur les routes l’avancée des troupes allemandes.

L’histoire du 18 juin, on la connaît. Dans les années 30, l’armée française est considérée comme la plus puissante d’Europe. Son effondrement en quelques semaines interpelle le monde entier et fragilise le combat des démocraties contre le nazisme et le fascisme. A qui la faute ? Sa défaite éclair en forme de déflagration internationale est due à une faillite totale de la pensée du haut commandement militaire français. En 1934, alors ministre de la guerre, Pétain mise sur la ligne Maginot sans couvrir les Ardennes, par où s’engouffreront six ans plus tard les troupes d’Hitler. Au même moment, De Gaulle devient le théoricien de l’arme blindée, à savoir de la mobilité des troupes. Il rédige un mémoire à ce sujet, envoyé en janvier 1940 à 71 personnalités politiques. Il n’est pas écouté. De même, les interrogations des parlementaires sont rejetées. L’armée est sûre de son fait, arrogante, elle se trompe lourdement. La débâcle n’est pas matérielle, ni humaine, mais bien stratégique et « intellectuelle », comme le regrette Marc Bloch.

A Bordeaux, en exil, le gouvernement voit s’opposer deux lignes : Pétain et la capitulation, Reynaud et la poursuite du combat armé à partir des territoires non annexés et de l’empire colonial. Les 9 et 16 juin, Paul reynaud envoie De Gaulle à Londres pour y réclamer des avions et des bateaux de transport. Face au péril d’Adolf Hitler, l’idée d’une union franco-britannique, avec citoyenneté et gouvernement communs, est évoquée. Le 16 juin au soir, la formation du gouvernement du maréchal Pétain est imminente. La France vient d’ouvrir l’une des pages les plus sombres de son histoire. L’arrivée au pouvoir d’une droite versaillaise et revancharde contre le Front Populaire et de l’extrême droite contre l’esprit des Lumières scellera le pire : la soumission, la collaboration, puis la participation active à l’entreprise génocidaire du IIIème Reich. Un cauchemar.

Ce que l’on connaît moins, c’est l’histoire du texte en lui-même, cet appel du 18 juin du Général de Gaulle, première pierre d’une résistance embryonnaire. Les mots de la résistance, du refus de la défaite qu’il porte et incarne ont un écho toujours aussi contemporain. Il n’existe aucun archivage de l’enregistrement sonore du 18 juin, celui qui a été conservé date, lui, du 22 juin 40. Entre le texte diffusé et la version authentifiée, il existe des différences notables. Sur les ondes de la BBC, on entend « le gouvernement français a demandé à l’ennemi à quelles conditions pourrait cesser le combat. Il a déclaré que, si ces conditions étaient contraires à l’honneur, la lutte devait continuer ». Dans la version que De Gaulle a écrite, les mots sont plus tranchants, sans aucune illusion, je le cite : « Les chefs qui, depuis de longues années, sont à la tête des armées françaises ont formé un gouvernement. Ce gouvernement, alléguant de la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat ».

Le 19 juin, dans l’allocution suivante, qui ne sera pas diffusée, le jugement est sans appel : « Devant la liquéfaction d’un gouvernement tombé sous la servitude ennemie, devant l’impossibilité de faire jouer nos institutions, moi, Général de Gaulle, soldat et chef français au nom de la France, je déclare… ». Il n’y a pas d’effet de censure pour expliquer ces différentes versions, toutes sont liées au contexte indécis des 18 et 19 juin. Entre la version initiale et la version officielle, Churchill et le gouvernement britannique espèrent encore que des militaires et politiques vont s’opposer au Maréchal Pétain. Ils demandent à de Gaulle de faire preuve de modération. Lors de la rédaction du 19 juin, De Gaulle sait que sa famille est à l’abri après avoir embarqué sur le dernier bateau britannique, il se sent plus libre d’incarner l’esprit de résistance.

Le 22 juin, dans l’appel dont on a gardé l’enregistrement, le pas est franchi : « Il est par conséquent nécessaire de grouper, partout où cela est possible, une force française aussi grande que possible. ». La résistance vient de naître. Bien sûr, le chemin sera long, même pour de Gaulle, qui se demande après les bombardements alliés de la flotte française dans la rade de Mers El-Kebir, s’il ne doit pas se retirer au Canada comme simple citoyen. Le chemin sera long pour tous ceux qui viendront s’agréger à ce 18 juin, cet appel qui prend date plus qu’il ne fait date, cet appel qui crée l’espoir, ce fil ténu pour retrouver les valeurs universelles de la France. Entre ce 18 juin 40 et le 27 mai 43, naissance officielle du CNR, l’horreur et le sang vont couler. Mais l’histoire de la rivière qui fait le fleuve est en route. Les résistances de la première heure sont héroïques. Elles seront aussi celles les plus durement touchées. Août 41 : les communistes développent rapidement un mouvement de résistance armée, les Francs-tireurs et partisans français (FTPF), dirigé par Charles Tillon. D’obédience communiste, le plus important maquis de France, celui du Limousin, prend forme. 1941 toujours, des représentants du Parti communiste et du Parti socialiste d’Italie, réfugiés en France, signent l’« appel de Toulouse », puis le « pacte de Lyon », le 3 mars 1943, qui scellent l’unité d’action dans la Résistance. Dans le Nord-Pas-de-Calais, des dirigeants de la SFIO créent un comité d’action socialiste (CAS), autant de structures qui augmenteront après le procès de Blum et Daladier, parodie du procès de Riom. Les juifs, les chrétiens, les immigrés et les FTP-MOI d’Epstein et Manouchian, tout le monde refuse l’impensable soumission de la France de Pétain, tout le monde refuse l’inéluctable et le défaitisme. Aujourd’hui, même si la crise que nous vivons n’est en aucun point comparable, souvenons-nous qu’un espoir fragile peut changer le cours d’un fleuve de l’histoire. Je vous remercie.

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