Intervention de Michèle PICARD, Maire de Vénissieux, Vice-présidente de la Métropole de Lyon, à l’occasion des 90 ans de la Maison du Peuple. Ce lieu emblématique de la Ville témoigne d’une politique culturelle municipale toujours ambitieuse et émancipatrice aujourd’hui.
Ces propos résonnent dans notre actualité et notre société. Ils sont de Jack Ralite, ministre communiste à la santé de 1981 à 1984 et initiateur des états généraux de la culture. J’ouvre les guillemets :
« On nous répond c’est la crise. La crise ne rend pas la culture moins nécessaire, elle la rend au contraire plus indispensable. La culture n’est pas un luxe, dont en période de disette il faudrait se débarrasser, la culture c’est l’avenir, le redressement, l’instrument de l’émancipation. C’est aussi le meilleur antidote à tous les racismes, antisémitismes, communautarismes et autres pensées régressives sur l’homme. »
Ces phrases collent aux priorités et politiques culturelles que nous continuons de mener, ici à Vénissieux : ne jamais considérer la culture comme une variable d’ajustement du libéralisme ; défendre une culture populaire, de proximité, qui va à la rencontre des Vénissians, comme pilier du vivre ensemble.
En ces 90 ans de la maison du peuple que nous célébrons aujourd’hui, il est bon de rappeler que notre ambition culturelle n’a pas changé d’un iota. Au contraire, elle s’est déployée, amplifiée, diversifiée, ramifiée.
Hier, à l’occasion des 90 ans de gestion communiste et progressiste de notre ville, je rappelais combien notre Médiathèque, Bizarre, les Ateliers d’arts plastiques, notre cinéma et école de musique sont les petits-enfants de la Maison du Peuple, là où tout a commencé.
Ce qui a présidé et ce qui a circulé tout au long des mandats d’Ennemond Romand, Louis Dupic, Marcel Houël, André Gerin et moi-même aujourd’hui, c’est l’émancipation, la curiosité, une culture pour tous et non de l’entre soi.
C’est bien évidemment une démocratisation de la culture, animée d’une volonté d’accès au plus grand nombre, mais aussi une démocratie culturelle, à savoir une pratique par les habitants des arts plastiques dans nos Ateliers Plastiques, d’ateliers d’écriture avec l’association L’Espace Pandora ou autres disciplines comme la musique dans notre école Jean Wiener.
Il faut aussi parler des combats politiques que les différentes équipes municipales ont portés pour implanter nos équipements comme le cinéma ou l’école de musique sur le plateau des Minguettes.
Pari relevé, au terme de luttes sans relâche contre les préjugés, contre les ségrégations territoriales, contre l’idée que la culture et les quartiers populaires sont incompatibles. La réalisation de la Médiathèque Lucie Aubrac, qui a ouvert ses portes le 21 septembre 2001, fut elle aussi une bataille.
Mais revenons aux 90 ans de la Maison du Peuple. Son acte de naissance remonte à 1931, lorsque que le conseil municipal de Vénissieux adopte le principe de la construction de la Maison du Peuple et de la Prévoyance Sociale.
Peuple et Social, il n’est pas innocent de retrouver ces deux mots dans la dénomination d’origine du bâtiment. Ils sont sa vocation, sa raison d’être, sa nature.
La Maison du Peuple va ouvrir ses portes lors de la saison 1934-1935. Œuvre de l’architecte Weckerlein, le bâtiment est classé au titre des monuments historiques. Son architecture, que l’on peut mettre en parallèle avec l’Ecole Pasteur inscrite elle aussi au patrimoine du XXème siècle, témoigne de l’affirmation de la République laïque, ouverte à tous.
La Maison du Peuple a pour objectif d’éduquer, d’émanciper et d’éveiller la conscience sociale, culturelle, artistique d’une population qui, à l’époque, est bien souvent considérée comme une simple main d’œuvre, et non comme une force citoyenne.
Ainsi les spectacles de toutes les associations de la commune seront représentés, et les écoliers, dès le plus jeune âge, pourront assister à des séances de cinéma éducatif. C’est un lieu de vie unique, où se succèdent des galas populaires, des bals, des AG pour les ouvriers, le combat syndical, et même… des combats de boxe.
Dès l’inauguration, la CGT y crée son Union Locale, sous l’impulsion de Louis Dupic, à l’époque 1er adjoint du maire Ennemond Romand et secrétaire du syndicat unitaire des métallurgistes. La fraternité et la solidarité qui y règnent transforment le bâtiment en un vivier de revendications, mais aussi de réflexion, d’imagination, de laboratoires de réformes progressistes.
Les syndicalistes y ont trouvé un lieu approprié, j’allais dire un refuge, tant la défense des ouvriers et la revendication de nouveaux droits pour les classes populaires étaient âpres, tant le rapport de force de l’époque était inégal.
La Maison du Peuple a joué ce rôle fédérateur, aussi bien dans les usines des années 30 que dans le refus de la collaboration et de la France de Vichy.
Le Front Populaire, la guerre, la Résistance, le CNR, mai 68 entrent dans l’espace public, dans les débats et assemblées générales qui y sont organisés, permettant à la ville et aux travailleurs de s’ouvrir au monde.
FO, la CFDT s’installeront à la Maison du Peuple dans les années 50-60, avant que ne se tienne en 1966 l’assemblée constitutive de la Bourse du Travail.
Maison des syndicats et maison de la culture, la grande réhabilitation de 1985 va donner naissance au Théâtre de Vénissieux, le balcon disparaît au profit d’un gradin.
Quelques années plus tard, l’ancienne salle de bal sera réaménagée en Espace Arts Plastiques. Notre Maison du Peuple est une maison de la continuité.
Ces 90 ans ont été l’occasion pour le Centre d’art Madeleine Lambert d’ouvrir une nouvelle exposition, Nuée vivante, issue des récentes acquisitions de la collection municipale d’œuvres d’art. La collection de la Ville comprend à ce jour 800 œuvres, dont 50 dans l’espace public.
Représentative de l’art du XXème et du XXIème siècle, elle intègre des peintures, des sculptures, des estampes, des photographies, des vidéos, des dessins, des œuvres textiles et des céramiques. Elle a été enrichie depuis 1993 par des dons importants, de Michel Guinle, Pascale Triol et de l’association Madeleine Lambert. Je les en remercie.
J’insiste sur le fait que la Ville œuvre notamment à la visibilité et au soutien des femmes artistes à travers les achats et la diffusion des œuvres de la collection.
L’exposition Nuée Vivante l’illustre : 100% des 12 artistes présentées sont des femmes.
Il ne s’agit pas pour nous de collectionner les œuvres comme on thésaurise ou on accumule, mais de les rendre accessibles aux Vénissians et de les faire circuler aussi à l’extérieur de notre ville.
Depuis des décennies, à travers ce mouvement et cet aller vers les habitants, nous soutenons activement la création artistique, souvent à la place de l’Etat, mais surtout et avant tout dans un souci de démocratisation et de proximité des oeuvres. C’est la raison pour laquelle la Ville a rejoint le réseau Vidéomuseum depuis 2023, qui rassemble les plus importantes collections publiques d’art contemporain en France, locales et nationales.
Grâce à cette adhésion, la Ville peut désormais proposer sur son site de consulter toutes ses œuvres en ligne. Notre collection est aussi régulièrement demandée en prêt à l’extérieur de la Ville : de nombreuses œuvres ont ainsi circulé ces dernières années, dans différents lieux d’expositions en Isère, à Vitry, en Suède et par deux fois à Gennevilliers, pour un cycle d’expositions intitulé Trésors de banlieues.
La ville de Vénissieux, tout au long de son histoire, a développé une ambition culturelle remarquable. Cette présence et ce lien indéfectible se sont exprimés de mandat en mandat, d’équipe municipale en équipe municipale.
Il y a eu un socle d’enjeux communs – la promesse républicaine d’émancipation par la culture – et des problématiques nouvelles – les pratiques numériques, l’uniformisation des productions-.
La crise sanitaire a aussi révélé une fragilité à laquelle nous avons répondu sans attendre. Ce fut le cas lors de la pandémie avec une enveloppe de subventions exceptionnelle pour les associations vénissianes à hauteur de 300 000€. Puis à nouveau une seconde enveloppe de subventions de 300 000€ aux associations pour faire face à l’inflation.
Enfin, nous avons décidé de revaloriser notre enveloppe des subventions aux associations de 3,2% dans notre budget 2024, mesure prolongée dans notre budget 2025 ! Et pour rappel, 9% de nos finances locales sont consacrés à la culture.
Notre ville est là, dans le quotidien, au plus près des acteurs de la culture populaire et des habitants, et je tiens à saluer les directions et agents qui la font vivre au jour le jour dans nos différents équipements. Cette culture que nous aimons nous donne déjà un rendez-vous majeur avec notre prochain équipement la Maison des Mémoires Olga-Bancic.
Redonner du sens à ce que l’on entend, à ce que l’on regarde, à ce qui nous entoure, à ce qui nous relie, voilà ce que la culture change profondément en nous. Dans une société aussi morcelée que la nôtre, elle doit devenir aujourd’hui celle qui nous unit et nous rassemble dans la diversité de la création et dans l’expression de son altérité.
Elle a, à Vénissieux, de beaux jours devant elle.
Je vous remercie