80 ans de la Libération de Vénissieux

Tout se passe comme si les leçons d’hier n’avaient pas été retenues, comme si le combat de nos aînés avait été vain.

Vénissieux se souvient … Libération de Vénissieux
En ce 80ème anniversaire, souvenons-nous que face à l’abject de Vichy se sont levés des hommes et des femmes. Nous avons rendu hommage à celles et ceux qui se sont battus pour la Libération de
Vénissieux.

Il s’appelle Etienne Broallier. Fils d’un canut des Monts du Lyonnais, cheminot mécanicien, il est affecté à Vénissieux en  1939, à la déclaration de guerre. Le  23 août 44, il est le seul responsable syndical sur place. Etienne Broallier sera  au cœur d’une  opération risquée  mais réussie de détournement, aux  dépens des troupes allemandes, d’une  rame de  35 wagons à la gare de Vénissieux. Certains d’entre eux contenaient de la nourriture qui sera destinée, grâce à ce coup de force, au ravitaillement des réseaux résistants et à  la population vénissiane.

A l’époque, environ 10 000 habitants étaient restés, peu d’enfants encore présents, éloignés par les menaces et  campagnes de peur qu’orchestrait la  municipalité de l’époque aux ordres de Vichy. Etienne Broallier va être un  acteur des jours-clés de l’auto-libération de notre ville. Lors de la création du Comité Local de Libération, il  fut chargé de représenter la CGT et  devint, le 23 octobre 44, le quatrième adjoint de la municipalité provisoire de Louis Dupic.

En ce 80ème anniversaire de la libération de Vénissieux, pourquoi je vous parle d’Etienne Broallier ?

Dans le cadre du travail que nous  menons pour notre prochaine Maison des Mémoires de Vénissieux, à  l’automne 2027, nous avons découvert dans le fonds muséal de la Résistance et  de la Déportation légué à notre municipalité une formidable source de travail et de documentation. Il s’agit des écrits d’Etienne Broallier, jamais diffusés jusqu’alors, de ses mémoires en quelque sorte de la période d’insurrection de fin  août 44 au 2 septembre, jour de la libération de Vénissieux.

Ces 30 pages sauvées de l’oubli sont passionnantes. Y sont consignés les ralliements à la résistance, les opérations de surveillance et d’espionnage des forces allemandes, les stratégies et échanges adoptés par le conseil des cheminots, le détournement et la mise à l’abri des wagons de nourriture en partance pour l’Allemagne, la mise en place des barricades. Et puis bien sûr la prise de l’Hôtel de Ville le 2 septembre.

Dans son journal, Etienne Broallier écrit ces mots : « Arrivé au 1er étage, nous mandions le concierge, qui nous remettait le drapeau tricolore, nous étions dans le bureau du maire, qui se tenait debout pâle comme un mort, nous  implorant du regard. Merviel le rassurait, pendant que Capparros et  moi-même hissions le drapeau tricolore au balcon. Déjà la foule s’amassait sur la  place, que l’on évaluait à un millier de personnes, battait des mains et chantait la Marseillaise. Le Comité de Libération les autorisait à fêter cette journée de Libération, car Vénissieux était redevenue libre en cette journée du 2 septembre ! ».

Je n’en dirai pas plus, car ce formidable témoignage écrit, détaillé, minutieux,  qui nous plonge quasiment heure par heure dans les journées qui ont marqué l’histoire de Vénissieux, fera  l’objet d’un prochain podcast diffusé le dimanche 22 septembre à 17h00 sur  l’espace culture de la Ville de Vénissieux dans le cadre des Journées du Patrimoine. Ce récit au quotidien de la libération de Vénissieux, rédigé à la  première personne,  sera enregistré et  porté pour la première fois à la connaissance du public.

Je voudrais juste signaler que dans les écrits d’Etienne Broallier, on croise des personnages méconnus, tous courageux bien sûr et héroïques bien évidemment, mais aussi Marguerite Carlet, la seule femme du comité de Libération, qui confectionnera avec des bouts de tissu le drapeau tricolore brandi  au balcon de l’ancienne mairie. Elle deviendra la première femme 1ère adjointe de Vénissieux.

Sans en dévoiler plus, j’aimerais finir avec les mots d’Etienne Broallier, tant ils s’inscrivent à Vénissieux dans l’esprit du CNR.

Ils sont la France libérée, mais aussi la France de demain, j’ouvre les guillemets : « Devant une situation difficile par sa position de nation ayant connu la défaite, par la trahison, la France se doit de reprendre sa place de grande nation avec l’aide de tous ses fils républicains. Unis dans la Résistance pour notre libération, nous devons rester unis dans le travail pour la renaissance de notre patrie et la paix dans le monde… C’est pourquoi nous continuons de  travailler au sein des comités de libération  pour l’application intégrale du programme du CNR, c’est-à-dire le châtiment des traîtres et la renaissance française ».

Je vous invite très fortement à écouter l’intégralité du podcast. Il est fascinant de plonger au cœur de la libération et de vivre au rythme de ces heures qui ont fait notre ville et les Vénissians que nous sommes.

Ce 2 septembre, je voudrais insister sur l’auto-libération de Vénissieux. Loin  de moi l’idée d’ignorer ou de minorer le  pilonnage aérien des forces alliées à  Lyon, Chambéry, Grenoble et Saint-Etienne, au printemps 44, qui ouvre la brèche d’une prochaine libération, mais un trait de caractère vénissian s’exprime dans cette volonté de prendre son destin en main.

La résistance vénissiane n’attend pas l’arrivée de l’armée pour renouer avec la liberté et la paix, elle va les chercher. Il y a beaucoup à dire sur cette détermination.

En 44, Vénissieux encaisse les coups, mais ne cède pas à la fatalité.  800 immeubles endommagés  et 140 totalement détruits. Des centaines d’usines sont endommagées, certaines d’entre elles rasées. C’est à Saint-Fons et à Vénissieux que le bilan des bombardements est le plus lourd : entre 12 et 20% des habitations rasées quand la commune de Lyon ne perd, entre guillemets, que 2% de ses immeubles.

Entre mars et mai 1944, les opérations militaires feront 29 morts, 62  blessés. Notre ville recevra à ce  titre  la Croix de Guerre en 1945. On  imagine très bien le moral endeuillé des Vénissians, entre la peine de perdre des proches et la désolation de voir certains quartiers en ruines.  Vénissieux est donc touchée, par les coups malheureux des forces amies, mais Vénissieux relève la tête immédiatement, comme elle saura le faire tout au long de son histoire contemporaine.

Il y a là un trait de caractère propre à notre histoire et à notre citoyenneté, qui se transmet, je  le crois sincèrement, de génération en  génération.

L’autre fait marquant de cette auto-libération est lié à la culture ouvrière, populaire et syndicale de Vénissieux. Quand vous découvrirez le podcast d’Etienne Broallier, vous vous rendrez compte à quel point la résistance vénissiane est structurée, solidaire et organisée. Elle sait patienter le cas échéant, ne pas accomplir le  pas de trop sous peine de se voir infliger de lourdes pertes par l’armée allemande et les milices de Vichy. Elle sait organiser des opérations de surveillance, de sabotage, mettre la main sur des ressources promises aux allemands. Elle possède une culture collective des combats.

En un sens, elle est l’héritière des grèves menées à Vénissieux dans un contexte lourd de menaces. Dans le monde du travail, Vichy avait posé sa main de fer sur les employés, ouvriers et  syndiqués.

Je rappelle la Charte du  Travail, promulguée en octobre 1941, au croisement de l’Italie fasciste de Mussolini et du courant contre-révolutionnaire de la  droite maurassienne. Elle dissout officiellement les syndicats (qui l’étaient déjà de fait depuis le 9 novembre 1940), et, dans son article 5, interdit la grève. 

A la SIGMA, à l’ex-usine Maréchal, futur Veninov, à la Société des Electrodes, à la SOMUA, il fallait faire preuve d’un courage fou et oser s’opposer à la mise en place du STO, aux ordres de réquisition, quand le préfet de région n’attendait qu’une chose : réprimer le mouvement syndical, le mouvement social. Il fallait croire en cette  force collective qui s’est apprise dans le monde du travail, dans les usines, pour obtenir des droits et de meilleures conditions de vie.

En ce 80ème anniversaire, souvenons-nous que face à l’abject de Vichy se sont levés des hommes et des femmes.

A partir de l’été 42, notre pays a participé activement à la déportation de près de 76 000 juifs, dont plus de 43 000 seront gazés dès leur arrivée, dans les camps de la mort, à Auschwitz ou ailleurs.

A Vénissieux, un ancien camp militaire désaffecté, appelé le camp Bac  Ky, avait été réquisitionné par le préfet régional de Lyon, Alexandre Angeli, aux ordres du régime de Vichy. Le 2 juillet 42, Oberg et Bousquet organisent les conditions d’arrestation et d’internement des juifs, par la police française.

La France accepte de livrer 22 000 juifs étrangers de la zone occupée, et plus  de  10 000 résidants dans les 40  départements de la zone libre.

A Lyon, la date de l’opération du début des rafles est arrêtée au lundi 24 août. Un  millier de juifs étrangers sont ainsi parqués dans le camp de Bac  Ky. 545  d’entre eux seront conduits à Drancy, via la gare de Saint-Priest. Tous seront gazés à Auschwitz. Face à  l’inacceptable, des résistants, des religieux, des acteurs associatifs vont coordonner leur action, pour exfiltrer des enfants juifs, et les sauver de la déportation.

Une course contre la montre s’engage, pendant laquelle, les parents signent des délégations de paternité, pour que leurs garçons et leurs filles puissent échapper à la Shoah, aux chambres à gaz. Du camp de Vénissieux, une centaine d’enfants sera sauvée grâce à ces Justes, à ces résistants, qui ne pouvaient tolérer la collaboration active de Vichy et de l’Etat Français. Sans cet acte de résistance, Vichy aurait  continué à livrer des juifs aux allemands, à raison de 3 000 par semaine.

La libération de Vénissieux, c’est aussi des noms qui vivent dans notre mémoire collective comme ces cinq patriotes Louis Trocaz, Pierre Joseph Gayelen, Félix Gojoly, Louis Moulin et Jean Navarro qui perdent la vie le long du mur Berliet sous les balles allemandes.

Ou encore Ennemond Roman, Louis Dupic, Georges Roudil, les frères Amadéo, Francisque Paches, Charles Jeannin, et tant d’autres, acteurs, témoins et guides d’une période terrible.

Objet d’une programmation spéciale du 1er au 6 septembre, avec une soirée  cinéma, un bal populaire, le 80ème  anniversaire de la libération de notre ville doit réveiller nos consciences.

Dans le monde, des guerres tragiques font des milliers de victimes, le plus souvent civiles, des villes sont rayées de la carte, des populations déplacées. En France, l’extrême droite poursuit son ascension, véhiculant des idées xénophobes et discriminantes, de division de la société française et de remise en cause de la République et de l’état de droit.

Tout se passe comme si les leçons d’hier n’avaient pas été retenues, comme si le combat de nos aînés avait été vain.

Il faut se ressaisir, se souvenir des paroles de Charles Jeannin, j’ouvre les guillemets : « Certains diront : à quoi bon ? Mais les déportés ne peuvent pas oublier, et le pourraient-ils, qu’ils n’en auraient pas le droit. Ils savent que le nazisme n’est pas mort, que le crime peut encore se produire. Oublier, ce serait trahir le serment que nous avons fait au jour de notre libération : plus jamais ça ! ».

Oui, aujourd’hui, au nom des libertés qu’ils ont défendues et qui sont les nôtres, nous devons vite, très vite réagir et nous mobiliser à la hauteur des périls qui montent et qui nous menacent.

Je vous remercie.

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